Nous remarquions dans l’introduction qu’étudier l’édition numérique dans les pays en développement est une démarche complexe, fascinante autant qu’incontournable. L’objet de cette étude s’avère si volatil que l’enquête conduit à démolir des lieux communs et à jeter des ponts conceptuels entre des domaines apparemment peu connexes. Cela peut donner une idée de l’ampleur de la tâche à accomplir : avec des technologies très malléables qui ne terminent jamais de se cristalliser, dans un monde d’une variété infinie et qui se trouve en développement au sens littéral du terme, l’édition numérique du Sud est le territoire de tous les devenirs.
Mais si les technologies mutent et que les contextes locaux sont instables, cette industrie naissante ne va-t-elle pas connaître la même extrême fragilité ? L’édition électronique dans les pays en développement ne restera-t-elle pas excessivement exposée aux va-et-vient de l’histoire et à l’arbitraire des colosses nord-américains, européens et japonais, indépendamment de ce que mettront en œuvre ses protagonistes ?
En réalité non, à condition que les acteurs du Sud perçoivent que, y compris dans l’ère électronique, comprendre le contexte local constitue un facteur décisif. Nous ne nous référons pas ici à la géographie ou au climat, mais bien aux formes spécifiques d’interaction avec la technologie qui existent dans chaque région : formes structurées par l’histoire, la langue, la culture, la religion, la politique, entre autres aspects, et qui font que si Taobao se bat dans le fleuve – c’est-à-dire sur son propre terrain – il parvient à vaincre le géant eBay. Pour reprendre la référence à La Genèse qui – comme nous le remarquions au début – se trouve condensée dans le logo d’Apple, nous pourrions ici évoquer une autre image biblique et suggérer que plus les grands acteurs du Nord cherchent à s’ériger eux-mêmes comme loi unique et universelle, élevant jusqu’au ciel leurs tours numériques, plus il s’avérera que l’édition électronique globale est en réalité composée d’une pluralité babélienne de grammaires et d’industries complètement hétérogènes.
Nous conclurons donc ce rapport en insistant sur la nécessité de ne jamais perdre de vue les particularités locales. À ce stade, un tel avertissement pourrait paraître une lapalissade et une redondance, mais il faut savoir que de telles enquêtes sur le numérique dans les pays en développement – celle-ci ou d’autres – peuvent déboucher sur des programmes très dissemblables. Respecter la spécificité de chaque zone signifie prêter attention aux questions techniques sans se laisser étourdir par le pouvoir de l’outil. Il s’agit donc de se focaliser sur l’authentique point ferme qu’il y a derrière le devenir et la multiplicité : avec le temps, les technologies deviennent obsolètes, mais les personnes restent, et c’est là-dessus qu’il faudra concentrer les meilleurs efforts.