Il est intéressant d’observer que la majorité des e-books vendus par les sites de vente en ligne latino-américains proviennent d’agrégateurs étrangers situés en particulier en Espagne, aux États-Unis ou en Angleterre. Dans les pays hispanophones, la plupart des librairies virtuelles se fournissent chez Publidisa (Espagne), dont le catalogue compte plus de 20 000 titres [1]. En général, la disproportion entre contenus locaux et contenus importés est considérable, ce qui suscite des débats animés. D’abord, les lecteurs se plaignent du peu d’intérêt que présentent pour eux les e-books disponibles. Ensuite, le prix des œuvres, exprimé à l’origine en euros, dollars ou livres, tue dans l’œuf toute velléité d’achat [2].
Parmi les rares initiatives locales d’agrégation, il faut mentionner Xeriph, une entreprise fondée elle aussi par Carlos Eduardo Ernanny, de Gato Sabido. Les fonds investis dans le projet sont 100 % brésiliens, quoique la plate-forme dispose de nombreux fournisseurs à l’étranger : le support technique, par exemple, est réalisé en Inde. De la même manière que pour les livres vendus par Gato Sabido, les fonds distribués par Xeriph sont commercialisés avec le DRM d’Adobe, au prix établi par l’éditeur. Ernanny exhorte les maisons d’édition locales à adapter leurs business models à l’air du temps, afin d’éviter le problème de surprix que l’on rencontre sur les plate-formes internationales :
Actuellement, les maisons d’édition cherchent à travailler avec les marges de profit d’un marché condamné à l’extinction. Ce modèle doit être repensé et mis à l’épreuve. Ignorer ces mutations ou ne pas écouter le consommateur est un suicide institutionnel [3].
Une autre plate-forme, également brésilienne, a été créée il y a peu : Distribuidora de Livros Digitais (DLD). Il s’agit d’une initiative développée initialement par les maisons d’édition Objetiva, Record et Sextante, qu’ont rejointes ensuite Planeta, Moderna et Rocco. Ensemble, elles représentent 50 % du secteur traditionnel de l’édition au Brésil [4]. Suivant le modèle de Libranda (Espagne), et avec un investissement prévu de plus de 1 million de dollars, DLD ne fournira que des librairies [5]. Elle vise à occuper une place prépondérante sur le marché du livre numérique brésilien. Il est intéressant de noter que la politique de prix défendue par DLD se situe à l’inverse de celle de Xeriph, comme cela apparaît dans les déclarations de Sergio Machado, président du groupe Record :
Les librairies, et surtout les librairies nationales, s’inquiétaient beaucoup de la menace constituée par Amazon. L’une de nos priorités est d’éviter qu’il y ait une cannibalisation des prix au Brésil par le biais d’une concurrence déloyale [6].
Ce que l’on peut déduire de cette critique émise contre la « cannibalisation », c’est que DLD cherchera à empêcher que le prix des e-books ne s’effondre. Il n’y a que deux manières d’atteindre ce résultat : ou bien par le biais d’une loi établissant un prix fixe pour l’e-book, ou bien par la signature de contrats d’exclusivité stipulant qu’un éditeur ne livre ses fichiers qu’à un seul distributeur, comme c’est le cas aujourd’hui avec Libranda en Espagne. Il faudra donc voir lequel de ces deux modèles d’affaires et de prix va prédominer : celui de DLD – prix régulés, sans concurrence – ou celui de Xeriph – prix adaptés à la demande des lecteurs qui exigent des e-books plus économiques.
En ce qui concerne les formats, les e-books produits par les éditeurs latino-américains sont généralement distribués en PDF, une faible proportion étant commercialisés en format ePub [7]. Cela peut s’expliquer par la relative facilité qu’il y a à exporter un livre en PDF à partir des programmes de mise en page les plus utilisés dans la région (InDesign et, dans une moindre mesure, QuarkXPress). Peu d’éditeurs disposent à ce jour du know-how nécessaire pour convertir leurs livres au format ePub. Ils se trouvent donc dans l’obligation d’externaliser ce service auprès de différents fournisseurs, pour un coût qui oscille entre 50 et 100 dollars par titre [8]. Tant que les ventes ne justifieront pas un changement de stratégie, la plupart des éditeurs vont donc continuer à produire leurs e-books en PDF.
- Cf. Conexión Publidisa, octobre 2010.↵
- Dans un article paru dans Publishing Perspectives, l’éditrice argentine Julieta Lionetti illustre ce phénomène par un exemple frappant : ces grandes bases d’e-books dans lesquelles ne figurent aucun titre local obligent les lecteurs à se contenter de textes à peu près aussi intéressants que des annuaires de chef-lieu de province, et ce pour un prix qui, en février 2011, avoisine les 15 dollars. Cf. Lionetti, Julieta : “In Argentina, E-books Are Sexy! (But You Can’t Find Them Anywhere)”, Publishing Perspectives, 15 octobre 2010.↵
- Cf. Gugelmin, Felipe : “Por que livros digitais ainda são tão caros?”, Baixaki, 26 novembre 2010.↵
- Cf. Abos, Marcia : “Cinco das maiores editoras do país assinam contrato para a Distribuidora de Livros Digitais”, O Globo, 14 juin 2010.↵
- C’est-à-dire qu’elle travaillera strictement selon le modèle B2B.↵
- Cf. Victor, Fabio : “Nova distribuidora de livros digitais planeja investir R$ 2 milhões até 2011”, Folha, 9 juin 2010.↵
- Selon Richard Uribe Schroeder y Sandra Villamizar Mantilla, « en menant des recherches sur le taux de pénétration des livres numériques dans les maisons d’édition ibéro-américaines, on s’aperçoit que 25 % des entreprises interrogées publient en format numérique. Quand cette modalité est adoptée, c’est généralement en PDF, utilisé par 68 % des maisons d’édition, 18 % d’entre elles utilisant le format ePub ». Cf. CERLALC, op. cit., octobre 2010, p.11.↵
- Les agrégateurs offrent généralement ce type de services.↵
thierry quinqueton
/ 27/08/2011J’aime bien la réflexion de Felipe Gugelmin que tu cites : certains acteurs se comportent vis à vis des marchés de l’édition électronique « en attendant des marges de profit caractéristiques d’un marché condamné à l’extinction ».
On pourrait d’ailleurs appliquer parfois la même expression à certains financiers de grands groupes vis à vis de l’activité éditoriale : il faudrait que cela « rende tout de suite ».
Ah Woody Allen : take the money and run!