Et pendant qu’on mène toutes ces tentatives dans le domaine du numérique, que se passe-t-il du côté de l’édition traditionnelle ? Ce qui est sûr, c’est que dans le monde arabe, le secteur du livre est confronté depuis des décennies à de sérieux écueils. Le principal problème réside dans l’absence d’un système de distribution uniforme. Pire, il n’existe pas de base de données qui réunisse résumés, informations concernant les auteurs, numéros ISBN, prix, disponibilités, entre autres renseignements de base. Comme l’expliquent Jan-C. Eschweiler et A. Goehler [1], les éditeurs rencontrent toujours des difficultés au moment d’organiser la facturation et l’envoi des livres. Pour les lecteurs, les salons constituent l’une des rares occasions de profiter d’une offre un peu plus variée. Dans une enquête envoyée récemment à 600 éditeurs arabes, A. Goehler a découvert que seulement 2 % des professionnels interviewés étaient satisfaits de leur distribution [2].
En 2005, Kotobarabia, réalisant sa propre étude de marché sur le livre papier en Égypte, avait anticipé ce diagnostic. L’entreprise avait analysé la portée de la distribution de 150 titres traitant de différentes thématiques et intégrant les œuvres d’auteurs arabes de premier plan, ainsi que d’écrivains peu connus. Elle était arrivée aux conclusions suivantes :
- 10 % des titres étaient disponibles dans pratiquement tout le circuit de distribution conventionnel ;
- 10 % étaient introuvables ;
- les 80 % restants n’étaient disponibles que dans un rayon de cinq kilomètres autour des bureaux de l’éditeur ou de la maison de l’auteur.
Ainsi, un livre publié au Caire pourrait difficilement se trouver à Alexandrie – et encore moins à Amman ou Casablanca [3].
Un autre obstacle de taille qui entrave le fonctionnement de l’édition traditionnelle dans une bonne partie du monde arabe, c’est la censure. Les éditeurs interviewés expliquent qu’au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les médias comme la radio et la télévision sont très contrôlés. La communication écrite jouit d’une certaine liberté, mais il y a certaines limites à ne jamais franchir, les axes les plus délicats étant toujours la politique, le sexe et la religion.
Écrire sur certains sujets peut aboutir à la fermeture d’un périodique ou à l’interdiction d’un livre. Et la censure peut également se manifester sous des formes plus subtiles, comme l’indique Ramy Habeeb :
On pourrait dire que même l’ISBN constitue un outil de censure (…). La majorité des agences d’ISBN au Moyen-Orient (exception faite de la Syrie et de quelques autres) se trouvent dans l’orbite des Bibliothèques nationales, qui elles-mêmes sont par extension des organismes gouvernementaux. Elles ne délivrent qu’un numéro ISBN à la fois, et le livre doit être approuvé avant qu’on ne procède à son impression. Bien sûr, le processus d’approbation se dissimule derrière une question de codes et de standards (dans ce cas, l’ISBN), mais la réalité, c’est que si quelqu’un parle de religion ou de politique – ou de tout autre thème sensible – le livre n’obtiendra pas d’autorisation. C’est comme ça que le gouvernement conserve le contrôle [4].
- “Book Distribution in the Arab World”, in Publishing research quarterly, Heidelberg, Springer, 2010, vol. 26, nº 3, p. 193-201.↵
- Cf. Nawotka, Edward : “Abu Dhabi Launches Pan-Arab Book Distribution Company”, Publishing Perspectives, 3 mars 2010.↵
- Cf. Rossetti, Chip : “Kotobarabia’s Arabic E-Books Extend Borders”, Publishing Perspectives, 18 juin 2009.↵
- Décembre 2010, auparavant cité.↵